Thésy a ouvert et dirigé pendant 14 ans un établissement médicalisé pour personnes âgées à Paris. Une fonction qui l’a passionnée et qui lui a permis de rencontrer des personnalités étonnantes : Juliette, Lucette, Jeanine et Michel. 

Article à retrouver : https://www.lescurieuxaines.fr/le-scandale-orpea-a-revolte-lancienne-directrice-dehpad-que-je-suis/

Par Thésy Bionnier  

Juliette, brodeuse d’art. 

Juliette, 85 ans, était atteinte d’Alzheimer. Elle était très sympathique mais parfois difficile et « dérangeante » pour les autres patients. Sa maladie datait de plusieurs années et elle était arrivée au stade où elle ne reconnaissait plus sa fille qui venait pourtant la voir tous les jours. J’avais remarqué dans sa chambre de magnifiques tableaux de broderie. En fait, cette dame était brodeuse d’art et ses œuvres avaient été vendues dans les grands magasins parisiens et même à l’étranger. Devant mon admiration, sa fille me dit qu’il lui restait encore beaucoup de tableaux. Je lui ai alors proposé d’organiser une exposition des œuvres de sa maman. Et comme d’habitude à cette occasion-là, un vernissage pour accueillir les autres résidents de la maison de retraite, les familles, les élus et les voisins. Ce jour-là, Juliette était méconnaissable. Il fallait la voir recevant les visiteurs, leur expliquant à chacun son travail, sa technique. Plus aucun signe de sa maladie ! En retrouvant son statut social, c’est comme si elle revenue vingt ans en arrière. Mais le plus beau cadeau fut pour sa fille, qui avait retrouvé sa maman. Je suggérai à sa fille de faire venir son métier à broder et son matériel de broderie ; pendant quelques mois, tous les matins lors de mon passage, Juliette me montrait son travail, qui, malheureusement ne ressemblait pas à la description qu’elle me faisait. Mais elle semblait heureuse. 

Lucette, l’ancienne Muse de Modigliani. 

J’avais beaucoup de sympathie pour cette résidente de 95 ans, très handicapée mais charmante. Un jour, en lisant le roman Bohème de Dan Franck (qui se déroule dans le Paris du début du 20ème siècle dans le quartier de Montparnasse où se retrouvait la fine fleur de la future peinture moderne, Picasso, Modigliani, Matisse, Kiki etc.) je fus surprise de découvrir que l’on y parlait de Lucette. Je l’ai évidemment interrogée à ce sujet. C’est alors qu’elle m’apprit qu’à l’âge de 14 ans, elle était venue de sa Bretagne natale pour travailler comme « bonne » chez un grand galeriste parisien. Elle eut la chance de rencontrer les peintres de cette époque et principalement Modigliani pour qui elle posa. 

Un peu plus tard nous avons eu le plaisir de l’emmener voir une exposition de Modigliani au Musée Jacquemart-André à Paris. Très émue, elle nous fit découvrir un portrait de jeune fille, elle, par l’un de nos plus grands peintres.                              

Jeanine, l’artiste inconnue 

J’avais engagé un professeur de peinture qui venait deux fois par mois animer un atelier. Je passais voir régulièrement le travail des résidents : certains, c’était évident, tenaient un pinceau pour la première fois, d’autres plus expérimentés n’étaient jamais contents de leur travail. Lorsque le professeur émit l’idée d’organiser une exposition, je demeurai dubitative. Finalement, après avoir encadré les œuvres, je fus convaincue d’organiser un vernissage : il y eut beaucoup de compliments et d’étonnement quant à la qualité du travail. Un petit tableau de style très moderne, aux couleurs chatoyantes avait particulièrement attiré mon attention. Il me plaisait beaucoup. J’en fis part à son autrice, Jeanine 82 ans, qui, très étonnée me lança : « Eh bien moi, je n’en voudrais pas dans ma chambre » !

Michel, le pianiste – concertiste

Atteint d’Alzheimer, Michel, 75 ans, était l’un des premiers patients arrivés dans l’établissement. Alors que nous organisions souvent des fêtes dans le patio, nous n’arrivions jamais à le faire descendre pour nous rejoindre. Il préférait regarder le spectacle de l’étage qui donnait sur le patio. Trois mois après l’ouverture de l’établissement, nous avons organisé une inauguration officielle en présence du Ministre de la Santé de l’époque, qui était Philippe Seguin. A cette occasion, une grande pianiste de renommée mondiale nous offrit gratuitement un magnifique concert. Évidemment, nous avons dû louer un piano. A l’arrivée du piano, nous avons vu Michel prendre l’ascenseur et descendre pour venir s’installer au piano : il nous donna un superbe concert de Mozart sous les applaudissements du personnel et des malades. A notre demande, sa famille fit venir son propre piano, mais nous n’avons plus jamais eu le bonheur de l’entendre jouer. D’autres patients profitèrent de l’instrument.

* les prénoms ont été changés.